En février dernier, lors de l'incontournable rendez-vous brit des NME Awards, Pete Doherty était sacré rock hero en se voyant élire Meilleur artiste solo. Un mois et une lettre plus tard, Peter Doherty justifiait son rang en faisant paraître son premier album solo, Grace/Wastelands (EMI). Une livraison qui porte dès le titre son âme et son voyage rimbaldiens.
Avec une certaine grâce, le trash boy, épaulé par Graham Coxon de Blur qui prête son jeu de guitare (il était au côté de Pete sur la scène du Troxy de Londres, la semaine dernière), joue les défricheurs et explore ses territoires vierges au gré de déambulations folk et volontiers jazzy - un côté Dixieland aguicheur, à la limite du pastiche honteux (ça passe pour cette fois, Pete, mais on sera moins indulgents la prochaine) mais plaisamment inattendu sur Sweet by and by, qui concourt de la dimension vintage de cet album.
Déjà, le premier single, Last of the English roses, avec ses souvenirs très Mistral Gagnant, nous avait alertés sur la dimension générationnelle et anachronique de l'opus. Une sensation qui ne met que quelques instants à s'installer dans le creux de l'oreille, dès le Arcady qui ouvre le bal du tracklisting, avec son swing désuet, sa grosse caisse discrète et ses bémols blues.
Un des grands moments de ce premier essai est assurément l'étonnant tableau kaléidoscopique 1939 Returning, surprenant par son instrumentation acoustico-symphonique et ses phrases mélodiques intelligentes qui portent avec mesure et couleur un art consommé du songwwriting : sur cette description éclatée et mélancolique de la Deuxième Guerre Mondiale, les talents de conteur de l'ex-Libertine s'imposent, bien servis par sa technique vocale déglinguée pour une interprétation qui s'avère, finalement, raffinée. Après un vertige qui n'est pas sans rappeler le James Bondien The World is not enough de Garbage sur A little death around the eyes, Salome offre un joli moment de solitude nocturne que fait bien exister le duo violons-guitare électrique.
S'ensuit un tribute (peut-être involontaire) à Johnny Cash avec Palace of Bone, puis ce Sheepskin Tearaway qui sonne peut-être comme le moment le plus Dohertyesque de l'album : une ballade d'une simplicité difficilement égalable (pattern mélodique et rythmique de base) mais belle confrontation du rauque romantique de Pete et de la suavité indécente du timbre de Dot Allison - cela étant, la torture amoureuse se fait beaucoup moins paisible sur le Broken Love Song qui suit et sa ligne de basses harcelante. On laissera glisser sans y faire attention l'assez insipide New love grows on trees et ses lointaines guitares miaulantes, pour une piste finale sans doute superflue : ce court Ladies don't fall backwards n'apporte pas grand-chose de plus, si ce n'est de rappeler les thématiques qui ont guidé l'album (romantisme échevelé, plénitude acoustique et tentation jazz, matérialisée ici par l'orgue).
Dans l'ensemble, une première tentative effectivement gracieuse, et prometteuse (saluée par sa belle percée en France), qui devrait inciter les - nombreux - détracteurs anticipés du Pete à ouvrir leurs esgourdes et nuancer leur jugement. Quant aux autres, satisfaits, ils attendront toutefois un petit peu mieux de la part du successeur à ce Grace/Wastelands.
Guillaume Joffroy









