Après un peu plus d'un an de retrait sabbatique, Bruno Nicolini a laissé ses petites habitudes anonymes, sa boulangerie de quartier, sa femme, leur fils Manolo, et repris la route, la gouaille en bandoulière.
Bénabar, puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler à présent qu'il a décidé de présenter son nouvel album (le cinquième en incluant l'artisanal La P'tite Monnaie paru en 1998 sous le nom de Bénabar et Associés). Contrairement à ce fameux Dîner qu'il boudait et qui a été tellement plébiscité, il ne s'en fout pas, il ne se cache pas sous les draps, et il y va : ce nouvel opus, Infréquentable, en poche, il a imposé avec un volontarisme réjouissant à sa maison de disques (Sony) une tournée de présentation. "Ce n'est pas une façon de jouer la proximité, clarifie-t-il dans les colonnes du Parisien, qui l'a suivi dans son périple à Strasbourg puis à Lille. Je ne suis pas là pour acheter les suffrages du public."
Une campagne sans ambages qui chouchoute les médias locaux, et n'est pas sans rappeler les efforts des débuts : une période de pur artisanat menée par Marion Richeux, une fan de la première heure devenue son fidèle manager à force de persévérance. Treize ans que ce tandem fonctionne. A la base, Marion a "pris une claque" en le découvrant dans un café : "Je me suis dit : on est cent à le connaître aujourd'hui. Dans quelques années, il n'y aura plus que cent personnes qui ne le connaîtront pas". Un franc-parler qui ne surprendra personne. Pour mieux comprendre ce tandem de choc il faut avoir vu Marion dans les coulisses au Zénith ou en province, où encore au show-case donné rue de Lappe à Paris devant 300 personnes en 2005 pour Reprise des négociations... c'est fusionnel !
Pourtant, Bénabar, qui tournait alors avec son pote Patchol (qui est l'auteur de son pseudo), a mis du temps à saisir la perche : "Il s'en foutait, se souvient Marion. Bruno ne donne pas son amitié de prime abord. Il peut rester dans la sympathie de surface. A l'époque, je bossais dans un petit label, j'ai commencé à travailler de mon côté, dans son dos". Une judicieuse initiative, qui permet à l'artiste, à la faveur des médias locaux notamment, de parcourir la France avec la salvatrice fantaisie qu'on lui sait. La suite, on la connaît tout aussi bien : l'album éponyme Bénabar, en 2001, fait sensation, porté par le titre Bon Anniversaire. Un "vrai" premier album rendu possible grâce… au système D, une fois de plus : "on a demandé à des amis de mettre chacun 10 000 F pour autoproduire le disque, se remémore la manageuse de choc. On s'est retrouvé avec 350 000 F".
Sorti en 2003, Les Risques du métier s'écoule à quelque 750 000 exemplaires, et Reprise des négociations (2005) est propulsé par le single Le Dîner jusqu'à atteindre 1,3 million d'unités vendues.
Après une tournée triomphale et des débuts au cinéma (dans Incognito [sortie à l'été 2009] — un titre qui lui colle à la peau — d'Eric Lavaine, rencontré sur le tournage de la série H dont Bénabar était scénariste), Bénabar devient donc Infréquentable, à partir du 13 octobre (dans les bacs).
Un opus à la musicalité et l'instrumentation plus élaborée que les précédents, et à la plume qui, tout en conservant cette légèreté dégingandée qui est la patte de l'artiste, se plaît à arpenter les sentiers battus. Autre signature de l'artiste, la délicate amertume et le charme suranné qui parcourt les chansons de Bénabar (qui, avec Reprise des négociations, se voyait "défendre une variété qui parle à plein de gens, entre Souchon et Joe Dassin, [pour] ne pas s'enfermer dans une chanson française sclérosée") reste bien présente, comme en atteste le premier single, L'Effet papillon : un titre qui, d'un battement d'ailes, vole d'anecdotes du quotidien toujours bien croquées en considérations sur l'état de la planète. "Je défonce des portes ouvertes dans ce morceau, sur les plans sociaux, la fonte des glaces, commente l'intéressé. Je voulais faire une chanson entonnoir avec en toile de fond le thème de la responsabilité. Je ne suis pas du tout engagé. J'ai juste des opinions." A découvrir en cliquant ici, et d'autres extraits de l'album ici.
Comme le résume fort élégamment Ludovic Perrin pour Libération, "le principe maison de deux traits de drôlerie pour une pointe de mélancolie se voit là inversé. On appelle cela comme on veut, ce jeu des contrastes, l'élégance de ne pas trop faire état de ses inquiétudes tout en les disant".
Ce Bénabar est décidément un garçon plus que fréquentable.
Guillaume Joffroy









