Juillet 1994. Alors qu'il dispute le sprint de la première étape du Tour de France, Laurent Jalabert est victime d'une terrible chute. Le bilan est lourd pour le cycliste dont le visage est enfoncé. Vingt et un ans plus tard, "la gueule reconstruite", l'un des plus grands coureurs cyclistes français se souvient.
À l'époque, Laurent Jalabert compte parmi les meilleurs sprinteurs au monde. Il sort d'un Tour d'Espagne où il a écrasé la concurrence, fort de sept victoires. Pour cette première étape du Tour de France, dont le final se joue à Armentières dans le Nord, le Français est logiquement attendu parmi les favoris. Mais une chute à quelques dizaines de mètres de l'arrivée va mettre un terme brutal à sa participation à la Grande Boucle.
Le Belge Wilfried Nelissen percute à une cinquantaine de mètres de l'arrivée un policier en train de prendre le peloton en photo. Il chute et entraîne dans son sillage Laurent Jalabert, qui raconte dans Le Parisien : "J'ai la tête baissée. D'un coup, je sens qu'on se rabat sur moi. J'ai ôté mes mains du guidon pour enlever le type qui s'abattait sur moi. Et j'ai heurté le pied de la barrière métallique. Le vélo a explosé et je me suis pris en plein visage une énorme boîte publicitaire de Coca-Cola. C'étaient des tubes en PVC, avec du contre-plaqué à hauteur du visage. Ensuite, j'ai continué en roulé-boulé pour finir sur le bitume."
La chute est aussi spectaculaire que dramatique. Le visage en sang, le coureur de la puissante équipe espagnole ONCE gît sur le bitume, le regard hagard. Au Parisien, il confie sa sensation de "vivre un cauchemar", de ceux où "on se réveille la nuit en sursaut en croyant qu'on tombe dans le vide". À côté de lui Nelissen est inconscient. "La douleur est totale, poursuit le Français. J'ai d'ailleurs tellement mal que j'ai l'impression que ce n'est pas moi. Je suis le témoin de mon propre accident."
Je viens de comprendre que j'ai la gueule défoncée
Le cycliste, qui il y a deux ans était accusé de dopage, prend conscience de l'ampleur des dégâts. "Je passe ma langue sous mon palais mais celui-ci est enfoncé. Je sens les os qui se sont repliés dans la mâchoire. J'ai six dents cassées, j'avale du sang et je n'arrive pas à parler, raconte-t-il. (...) Je viens de comprendre que j'ai la gueule défoncée."
Le verdict du CHU de Lille où il est transporté est brutal : triple fracture de la mâchoire et pommettes broyées. Il évoque sa nuit passée en observation qu'il passe "en phase de survie" et dans "une souffrance intense". On lui ligature la mâchoire avec du fil de fer. Quinze jours d'hospitalisation durant lesquels il n'était pas supposé se voir dans un miroir... "J'ai réussi à me voir dans le reflet d'un document en plastique attaché au bord du lit. Le choc. Mais je savais aussi que je pourrais refaire du vélo", raconte-t-il encore, lui qui il y a deux ans était victime d'un terrible accident de la route alors qu'il effectuait une sortie à vélo à Montauban. Bilan d'alors : de multiples fractures et une opération.
Mais en ce mois de juillet 1994, c'est bien de voir le Tour de France à la télé qui lui est le plus insupportable, et notamment l'arrivée sur les Champs-Élysées. Il reconnaît avoir craqué et fait "un truc pas très intelligent" : une sortie à vélo, alors que du fil de fer lui maintient encore la mâchoire. "J'ai dégonflé les boyaux pour ne pas trop sentir les vibrations et j'avais une pince coupante dans la poche au cas où je devrais ouvrir la bouche en urgence pour ne pas m'étouffer."
Au final, cet accident dramatique aura changé beaucoup de chose sur les routes du Tour de France. "J'ai fait progresser la sécurité sur le Tour, explique Laurent Jalabert en évoquant les changements orchestrés par les organisateurs dès l'édition suivante. Il faut toujours des accidents pour cela. Mais si cela avait pu être un autre..."
Laurent Jalabert raconte son terrible accident dans le détail dans la série Les sportifs miraculés du Parisien, dans son édition du 29 juillet 2015