Elle est l'une des plus grandes sopranos françaises et, peut-être, la plus populaire. À 50 ans, Natalie Dessay a mis fin à sa carrière d'opéra pour se lancer dans le théâtre, faisant des débuts brillants cette année dans le monologue Und d'Howard Barker. Elle continue les récitals et même la chanson comme lorsqu'elle reprend les plus beaux airs de Michel Legrand, accompagnée au piano par ce dernier. Selon ses propres mots, elle est dotée d'une voix d'ange mais d'un "tempérament de sorcière", y voir une manière détournée d'évoquer sa fantaisie, sa joie de vivre, son désir de "jouer" sur scène. Chose rare, Natalie Dessay ouvre les portes de son intimité au magazine Paris Match.
La soprano prend la pose auprès du baryton qui partage sa vie depuis vingt-cinq ans, Laurent Naouri, dans le salon et le jardin de leur maison de La Varenne-Saint-Hilaire près de la Marne. Ils ont mené des carrières en parallèle et monsieur de souligner avec beaucoup d'humilité : "J'ai toujours su que son parcours serait exceptionnel et le mien, disons, plus 'standard'." Dans cette interview croisée, il est beaucoup question des tournées incessantes, de l'absence, de la valise toujours prête, des plannings pleins à craquer quatre ans à l'avance et, en fin de compte, de la solitude des chanteurs d'opéra. Certains célibataires n'ont même pas de maison tant ils vivent dans les chambre d'hôtels aux quatre coins du monde. Cela n'a jamais été le cas de Natalie Dessay et Laurent Naouri qui se sont trouvés à l'été 1989, juste à temps pour construire un nid solide avant une grande carrière.
Cette rencontre justement ? Elle a eu lieu lors d'une visite de Natalie dans un stage d'interprétation auquel il participait. Leur premier sujet de conversation n'a pas été la musique mais les séries télévisées. "Très impressionné par [mon] premier contact avec Natalie, j'ai souhaité la revoir mais je ne savais pas comment m'y prendre, raconte Laurent Naouri. J'ai appris qu'elle habitait boulevard Morland à Paris. Ne connaissant pas le numéro, j'ai cherché son nom sur chaque boîte aux lettres. Quand j'ai trouvé la sienne, j'y ai glissé une 'invitation'. Elle m'a répondu et, depuis, nous ne nous sommes plus quittés." Par amour pour lui, Natalie Dessay, pourtant "pas spécialement croyante", s'est convertie au judaïsme : "Afin que nous puissions nous marier religieusement et que nos enfants soient juifs comme leur père."
J'étais à la fois absente et très absorbée. J'ai loupé leur petite enfance.
Un garçon puis une fille naissent de leur union : Tom et Neïma, 20 et 17 ans. Pour concilier cette vie de famille, les deux artistes partent en tournée chacun leur tour, ce qui explique qu'ils ont si peu chanté ensemble. Malgré tout, aux alentours de l'an 2000, Natalie Dessay vit mal cet éloignement : "J'étais à la fois absente et très absorbée, reconnaît-elle. J'ai loupé leur petite enfance. (...) Alors qu'ils avaient 5 et 2 ans, mes scrupules étaient si grands qu'ils ont sans doute été en partie à l'origine de mes problèmes de cordes vocales." Après deux opérations, Natalie Dessay est sur pied, mais il lui faudra une prise de conscience : "Mes enfants allaient bien, ils étaient bien dans leur peau. C'est moi qui étais beaucoup plus traumatisée qu'eux ! Lorsque je l'ai compris, j'ai commencé à me sentir mieux."
Ils ont grandi et ont déjà un désir affirmé de faire carrière dans la musique. Neïma a "une voix magnifique" - venant de Natalie Dessay, c'est un compliment qu'il est interdit de prendre à la légère -, tandis que son grand frère étudie le saxophone au conservatoire. Rassurez-vous, comme "deux grands ados", leur chambre est en désordre ce qui "rend dingue" leur mère.
En 2015, Natalie Dessay fait le grand saut. Le théâtre lui tend les bras et, sans regret, elle quitte l'opéra. Elle s'en explique avec légèreté : "Ma voix de soprano léger me cantonnait à des rôles de jeune fille, de soubrette et de courtisane. Comment, à partir d'un certain âge, persévérer dans ce registre sans s'ennuyer ?" Pour l'heure, elle attend le bon projet pour remonter sur les planches au prochain trimestre. Elle qui déteste les vacances profite donc de sa maison, de son jardin qu'elle a vu fleurir pour la première fois cet été, des siens. De son époux, enfin, qui ne demande que ça : "Ce qui formidable, dit l'intéressé. C'est que, après toutes ses années, nous ne nous sommes pas du tout lassés l'un de l'autre."
Paris Match, en kiosques le 29 novembre 2015.