Derrière tout génie, une muse. Suze Rotolo fut celle-là pour Bob Dylan, dont elle fut la compagne de 1961 à 1964. 48 ans après la pochette de The Freewheelin' Bob Dylan, deuxième album de l'icône folk, et ce visuel de leur promenade bras dessus, bras dessous dans Greenwich Village, elle a lâché sa main : Suze Rotolo est morte ce 24 février 2011 des suites d'une longue maladie, à l'âge de 67 ans. Trois ans avant son décès, elle avait pu léguer à la postérité des mémoires dépeignant ses années avec Bob Dylan dans la vie bouillonnante de The Village, quartier de New York connu comme le creuset artistique et le berceau de la folk music où elle passa toute sa vie : A Freewheelin' Time: A Memoir of Greenwich Village in the Sixties. Elle y révélait également avoir été enceinte de la légende de la folk en 1963 et avoir avorté.
L'histoire d'un amour
Fille de parents communistes née en plein maccarthysme (la chasse aux sorcières), Suze Rotolo, artiste qui enseigna notamment à la Parsons School of Design, a influencé le travail de Bob Dylan au cours des années 1960, de par ses opinions politiques (elle milita notamment pour les droits de l'homme et alla à Cuba alors sous embargo pour contester le régime de Castro), son amour pour la peinture, qu'elle communiqua à Dylan, ou encore sa pratique du théâtre brechtien qui rejaillit sur lui.
Elle lui inspira directement quelques-unes de ses plus belles chansons sentimentales : Don't Think Twice, It's Alright et Tomorrow is a Long Time naquirent après leur séparation "forcée" en 1962, quand Suze suivit sa mère en Italie, à 19 ans, pour étudier l'art à l'université de Pérouse. Outre l'impact politique de Suze sur le songwriting de Bob, cet épisode dopa la fibre émotionnelle de ses compositions, lui qui lui écrivit de longues lettres enflammées durant son absence - ce qui permit à Suze de s'enorgueillir de se considérer, contrairement aux "nanas" des artistes, comme la "possession, le centre d'attention de Bob".
Dans ses Chroniques (ses mémoires), Dylan se souvient d'elle comme de "la chose la plus érotique qu'il ait jamais vue". Une "chose érotique" qui apparaissait donc à son bras sur la pochette du deuxième album de sa carrière, The Freewheelin' Bob Dylan, avec une photographie prise dans Greenwich Village (au croisement de Jones Street et de West 4th Street, non loin de l'appartement où ils avaient emménagé en janvier 1962) en février 1963, peu après le retour d'Italie de Suze.
L'histoire d'une époque
Ce cliché, pris dans l'instant par Don Hunstein, photographe pour CBS, Suze Rotolo l'analysait a posteriori dans ses mémoires, en 2008 : félicitant la personne responsable du choix du visuel, elle le considérait comme un "marqueur culturel" rompant avec la tradition des pochettes surcomposées et proprettes, et louait la "spontanéité" et la "sensibilité" de cette image naturelle et décomplexée "au pied de l'immeuble".
Même leur rupture, en 1964, largement entraînée par l'avortement (à l'époque illégal) de Suze, fut à l'origine d'une chanson de Bob Dylan : dans Ballad in Plain D, le folkeur évoque notamment la "soeur parasite", Carla Rotolo. Des termes très durs qu'il regrettera a posteriori, estimant que de toutes ses chansons, il aurait pu laisser celle-ci aux oubliettes.
Le contentieux remontait à un soir de dispute où Dylan et Carla, qui prenait soin de sa soeur après son avortement, s'étaient méchamment embrouillés. Elle dit avoir été poussée par le chanteur, qu'elle essayait de mettre dehors, et l'avoir poussé à son tour, déclenchant une bagarre. Décrivant Dylan comme manipulateur et immature émotionnellement, elle dénonçait le comportement du chanteur, qui entretenait une liaison avec Joan Baez en 1963 tout en continuant son histoire avec Suze. La grossesse fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase.
Après les années Dylan, Suze Rotolo épousa, en 1972, l'éditeur de films italien Enzo Bartoccioli, avec qui elle eut un fils, Luca, aujourd'hui musicien. En 2006, elle avait contribué au documentaire consacré par Martin Scorsese aux premières années de la carrière de Bob Dylan, No Direction Home : Bob Dylan...
G.J.