Il n'y a certes pas de bonne heure pour mourir, mais pour ce roi du rythme qui a tout osé, la fin de la mesure est venu un temps trop tôt : c'est à la veille de son 92e anniversaire, qu'il aurait dû célébrer ce 6 décembre 2012, que le pianiste de jazz américain Dave Brubeck est décédé, mercredi à Norwalk, dans le Connecticut.
Dave Brubeck, que les Grammy Awards avaient notamment honoré en 1996 d'un Lifetime Achievement Award (conscration de toute une carrière), était marié depuis 1942 à Iola, qui lui a donné six enfants, dont quatre ont fait de la musique leur profession et ont accompagné régulièrement leur père sur scène et en studio - Darius, l'aîné, ainsi baptisé en hommage à Darius Milhaud (qui fut le professeur de Dave au Mills College), est pianiste et producteur, Dan est percussionniste, Chris est un compositeur multi-instrumentiste et Matthew, le benjamin, est violoncelliste.
Né en 1920 à Concord, en Californie, dans une famille de musiciens, Dave Brubeck s'était initalement destiné, contrairement à ses deux frères aînés, à des études vétérinaires dans le but de travailler au ranch familial. Mais un professeur verra bien que la musique est sa réelle vocation et c'est bien la voie qu'il empruntera, en dépit de sa méconnaissance du solfège, compensée par un sens innée de l'harmonie et du contrepoint - qui se vérifiera dans son oeuvre. Enrôlé dans l'armée lors de la Seconde Guerre mondiale, il y fera la rencontre déterminante du saxophoniste Paul Desmond, qui deviendra son complice au long cours et avec qui il enregistrera, une quinzaine d'années plus tard (en 1959), un de ses classiques : le très emblématique Take Five.
Après la Seconde Guerre mondiale, Dave Brubeck étudie au Mills College sous l'égide du compositeur classique français Darius Milhaud avant de lancer sa carrière en 1947 à San Francisco avec Paul Desmond. Avec leur quartet complété par Joe Morello (batterie) et Eugene Wright (contrebasse), ils marqueront l'histoire du jazz avec Time Out, un album peu conventionnel marqué déjà par les expérimentations et superpositions rythmiques (la plupart des morceaux sont écrits en 9/8, 5/4, 3/4, ou 6/4). Premier disque de jazz à être vendu à un million d'exemplaires, Time Out, sur lequel figurent les standards Take Five, composé par Desmond, et Blue rondo à la Turk, composé par Brubeck lui-même (Nougaro l'utilisa pour A bout de souffle), s'écoule aujourd'hui encore à près de 60 000 copies par an.
Deuxième jazzman de l'histoire à faire la couverture du prestigieux Time, en 1954, cinq ans après Louis Armstrong, Dave Brubeck dissoudra son quartet en 1967 pour se consacrer plus largement à la composition - deux ballets, une comédie musicale, trois oratorios (dont The Light in the Wilderness), quatre cantates (dont The Gates of Justice), une messe, plusieurs morceaux pour formation de jazz et orchestre symphonique, ainsi que de nombreuses oeuvres pour piano lui survivent.
Fondateur en 2000 avec son épouse Iola du Brubeck Institute à l'Université du Pacifique, devenu au fil des ans une pépinière de talents, Dave Brubeck a été couronné d'une pléiade de distinctions prestigieuses : Connecticut Arts Award (1987), National Medal of Arts, National Endowment for the Arts (1994), Grammy Lifetime Achievement Award (1996), BBC Jazz Lifetime Achievement Award (2007), Benjamin Franklin Award for Public Diplomacy remis par Condolezza Rice (2008), intronisation au California Hall of Fame par Arnold Schwarzenegger et Maria Shriver (2008), Kennedy Centre Honours (2009), docteur honoris causa du Berklee College of Music (2009) et de l'Université George Washington (2009), Miles-Davis Award du Fesival de Montréal (2010)...
En 2010, Clint Eastwood, dont le fils est un éminent jazzman, coproduisait un documentaire à son sujet, Dave Brubeck: In His Own Sweet Way.