"J'ai grandi, là-bas". Dix jours à New York, passés à enregistrer son nouvel album dans le mythique studio Avatar imprégné de légende et de chapitres entiers de l'histoire de la musique, auront suffi à Chimène Badi pour achever d'exorciser ses démons et cristalliser celle qu'elle est désormais. Et prendre un fresh start.
S'il convient désormais de l'appeler Chimène - tout court -, la vraie révolution est ailleurs, annoncée par un premier single (le premier en trois ans) explicite : avec Laisse les dire, Chimène s'affirme. Musicalement, en se laissant entraîner sur la piste d'un groove qu'on n'attendait pas ; artistiquement et personnellement, en adressant sans ambages cette chanson comme une riposte longuement mûrie et remâchée à ses détracteurs et ceux qui l'ont éreintée.
Chimène Badi se souvient de tout et affiche désormais un sourire entendu. Celui qui accompagne les victoires qui comptent. Car cet album à paraître le 3 mai, disponible en pré-commande et dont nous vous avons proposé plusieurs extraits assortis de leurs vidéos, a tout d'une guérison, comme elle nous l'a confirmé. "C'est ma personnalité, je suis comme ça", nous a souvent répété l'intéressée au cours de l'entretien (découvrez-en en vidéo les temps forts ci-dessus) qu'elle nous a accordé en amont de cette sortie attendue, n'occultant ni les méandres de son tempérament "compliqué", ni la sérénité qu'elle a acquise (y compris grâce à l'apaisement de ses rapports fusionnels avec sa mère et l'épanouissement de sa relation avec son compagnon Vincent), et qui irradie.
New York, Paris, Bruxelles... et Perpignan
Contrairement à Yannick Noah ou Gérald de Palmas, qui ont cherché dans l'exil à Big Apple un nouveau home - pour le premier - ou un nouveau décor pour se ressourcer - pour le second -, Chimène, qui "va essayer de faire vivre le plus longtemps possible" le blog qui a permis à ses fans de suivre son escapade au jour le jour, avoue : "Je me suis retrouvée à New York sans vraiment le vouloir. Mais je savais que j'allais m'enrichir". En suivant le réalisateur Scott Jacoby, venue la rencontrer chez elle, du côté de Perpignan, elle a franchi un palier : "j'ai surtout grandi, là-bas. D'un coup, hein ! Pourtant, je suis resté dix jours. Mais les personnes avec lesquelles j'ai travaillé, la méthode, le fait d'être complètement coupée de Paris, de la famille, de là où j'habite...". Une opportunité et une sorte de parenthèse enchantée, avant d'aller assurer le mastering à Bruxelles, qui n'entamera en rien l'attachement au Sud, qu'elle a notoirement chanté - lors de notre rencontre, c'est l'état de son jardin après les chutes de neige exceptionnelles qui l'inquiétait : "Je sais que je ne pourrais pas y vivre, je ne supporte pas de devoir lever la tête pour voir le ciel", commente-t-elle à propos de New York.
C'est là-bas, sous la houlette de Scott et de musiciens émérites dont il s'est entouré (Graham Hawthorne, Gail Ann Dorsey), qu'est née la coloration chaude de l'album, son empreinte très groovy, par endroits volontiers funky avec une grosse section rythmique, très soul avec son orgue Hammond omniprésent, ses choeurs enveloppants, sa pulsation : "Quand on a reçu les maquettes, elles étaient soit à l'état brut, soit d'une manière beaucoup plus proches de ce que j'avais fait auparavant. Je me suis amusée à les prémaquetter, juste guitare-voix, chaque titre. Puis on les a fait écouter à Scott. Et c'est la touche de Scott, tout l'arrangement. C'est lui qui leur a donné une direction pareille, des sonorités pareilles. Evidemment, c'était le chemin que je voulais prendre, c'était ce que je voulais entendre... Après, c'est sa magie à lui."
Guérison en mode groovy
Une magie qui a opéré pour Laisse-les dire, véritable leitmotiv de ce retour : "Le thème était hyper important pour moi. Un pied de nez aux personnes... qui se reconnaîtront (...) Musicalement, c'est exactement le p'tit truc que je voulais. Je voulais que tout soit logique, en osmose (...) Tu sais, quand tu t'arrêtes pendant trois ans, tu entends des choses. Beaucoup. Il y a des choses qui m'ont blessée, bien sûr, qui m'ont fait même beaucoup de peine. Parfois, il m'a fallu énormément de temps pour l'encaisser (...) Il fallait bien me connaître pour pouvoir déceler que je vivais en souffrance cette carrière-là, au départ. Quand tu ne fais pas partie du moule du moment, c'est difficile..." Et de continuer de s'épancher : "J'ai été fatiguée de combattre dans le vent. Alors, aujourd'hui, m'abîmer pour des choses qui n'en valent pas la peine, non. Je fais de la musique pour être épanouie, pas pour être triste. J'ai envie de vivre mes moments, s'il y en a encore, des moments artistiques, à 200%. Etre dans la réalité de la vie, être entourée de personnes d'un milieu social pas forcément exceptionnel, de gens qui n'ont pas des moyens exceptionnels, être dans la vraie réalité de la vie et pas dans le milieu de la musique, les paillettes, ça te fait voir où sont les choses les plus importantes."
L'amour de Vincent, l'amour de maman...
Deuxième homme capital dans cette renaissance et la personnalité (artistique et humaine) assumée de Chimène, celui qui partage sa vie , Vincent : "Il a compris comment je fonctionnais et il m'aide. Il m'a apporté beaucoup de stabilité. Avant, ma vie ne tournait qu'autour de la musique, et je ne voyais que par le travail. Et c'est dommage, parce que c'est important de penser à soi aussi pour pouvoir donner de belles choses, parfois. Et aujourd'hui, j'arrive à associer les deux". Embrassant enfin l'amour sans réserve et avec une totale confiance après l'avoir tant frôlé, Chimène peut aussi se libérer en musique, comme en témoigne, sur l'album, le titre intimiste J'ai souvent frôlé l'amour, dans lequel de nombreuses femmes se reconnaitront selon elle : "C'est vrai en plus. Ce n'est pas le genre de textes que j'aurais pu chanter auparavant. Il y a quelques années en arrière, je ne pense pas que j'aurais assumé. L'amour m'a aidé à me sentir beaucoup mieux dans mes pompes."
Exorcisme encore lorsqu'elle choisit de faire d'un traumatisme d'enfance la chanson Septembre 94 : "C'est une chanson qui n'a été écrite qu'à base d'anecdotes de cette fameuse rentrée en 6e. De toute façon, c'est le moment où ma vie se bouleverse totalement. Jusqu'à l'âge de 12 ans, j'étais vachement bien, j'avais une vie très calme, j'étais très timide. Quand je suis rentrée au collège, je ne me suis pas sentie à ma place. Les années collège, ça a été hyper compliqué. Cette chanson, ce sont des vieux démons qui étaient toujours là, qui planaient au-dessus de ma tête".
Au coeur de l'album, une chanson étroitement liée à ce processus artistico-thérapeutique : D'une mère à sa fille. Avec des mots indéniablement très maternels et rassurants, Chimène y aborde ses rapports très fusionnels avec sa mère, au point qu'ils ont pu être difficiles à gérer pour toutes les deux, et l'invite à vivre sa vie de femme à présent que sa fille s'assume pleinement : "Ce n'est pas un rapport ambigu, c'est juste que c'est peut-être un peu trop fusionnel, entre elle et moi. Et que je n'ai jamais réussi vraiment - est-ce que c'est moi ou est-ce que c'est elle, peut-être plutôt elle - à couper le cordon. Ma mère, c'est la mamma. C'est la maman très protectrice qui ne vit que pour ses enfants. Moi, je suis la plus grande, en l'occurrence, quand je suis partie, ma mère l'a très mal vécu. Et de la voir souffrir, ça a été très compliqué pour moi. Maintenant, nous sommes à trois heures de route l'une de l'autre. On se voit beaucoup plus. Et puis, je ne dis pas que cette chanson a tout résolu, mais elle lui a permis aussi de se recentrer un peu sur elle-même, c'est ce que je voulais. Le texte, c'était ça : "pense à toi, tu as porté tes enfants à bout de bras, maintenant tu as le droit de penser à toi et de t'épanouir". Je le lui ai toujours dit, mais peut-être que le fait de l'avoir fait en chanson, ça l'a touchée beaucoup plus fort et mis un petit électro-choc (...) Il y a eu surtout des larmes : je pense que n'importe quel enfant qui écrit une chanson à sa mère avec des mots pareils..."
"C'est un peu les montagnes russes dans ma vie... Mieux je me sentirai et plus je dirai ce que je pense."
Dès le 3 mai, le public découvrira les autres facettes de la "nouvelle" Chimène, au travers de cet album sur lequel vous attendent également, après l'ouverture groovy, rythmé par cuivres et basse, J'ai lu ton nom, une ballade feu de bois digne qui pourrait venir du froid canadien d'Isabelle Boulay (Froid), un titre écrit par Grand Corps Malade, En vous, qui sonne comme la suite de Tellement beau (album Le Miroir) et est une offrande au public, un duo franco-anglophone avec la chanteuse Maiysha (The only one), ou encore un morceau final troublant d'incertitude avec son violon déchirant (Un jour de trop).
Puis, après une ultime phase promo (notamment dans les espaces culturels Leclerc) sur scène, à l'occasion d'une tournée qui débutera le 29 octobre 2010 à Lille et sera marquée par deux Olympia, les 20 et 21 novembre. L'occasion de mesurer à quel point Chimène, de son propre aveu, est une "éponge" à émotions : "Je serai toujours bouleversée, c'est dans ma nature. Oui, c'est un album de guérison, j'ai dit beaucoup de choses qui m'ont fait du bien, mais je serai toujours comme ça. J'ai une personnalité assez... pas compliquée, mais... parfois c'est difficile d'être à mes côtés. C'est un peu les montagnes russes dans ma vie. Le monde dans lequel on vit, la société dans laquelle on évolue, ça me travaille beaucoup. J'ai un sentiment de culpabilité : pourquoi moi, ça va pour moi, et les autres pas ? Oui, je suis un peu une éponge, c'est vrai. Je pense que cela doit être difficile de vivre avec moi, parce que je passe par des hauts et des bas, du rire aux larmes. Plus le temps passera et mieux je me sentirai ; mieux je me sentirai, et plus je dirai ce que je pense. Et le fait d'avoir touché à l'écriture, à la compo, j'ai envie d'en faire beaucoup plus. Plus tu grandis, plus tu as de choses à dire. Au moment de mon premier album, je n'avais pas grand-chose à dire : je sortais du lycée, je n'avais pas une vie exceptionnelle..." Le chemin parcouru sera à mesurer dans quelques jours, avec la sortie de Laisse-les dire.
Propos recueillis par Guillaume Joffroy pour Purepeople.com. Reproduction interdite sans mention du site Purepeople.com.