






De 2010 à 2017, Patrick Cohen était aux commandes de la matinale de France Inter, baptisée 7/9. S'il a quitté la station après sept ans pour rejoindre Europe 1, il a fait son retour cette saison à la suite de l'éviction de Yaël Goosz. Un come-back qui est loin d'avoir plu si l'on en croit une enquête réalisée par Médiapart.
Tout aurait débuté le 11 juillet 2024, lors d'une réunion entre la rédaction de France Inter et la directrice de la station, Adèle Van Reeth. Mais selon les informations de Médiapart, cette dernière était loin de se douter de ce qui allait se dire. Le réel sujet était que l'annonce du retour de Patrick Cohen aurait ravivé des souvenirs douloureux chez certains employés historiques. Nos confrères évoquent un "management brutal" du temps où il était rédacteur en chef et présentateur de la matinale de France Inter. "On pensait qu’on allait rester sur le cas de Yaël Goosz, et finalement un truc de l’ordre de la catharsis s’est produit. Je n’avais jamais vécu ça à Inter", aurait confié l'un des journalistes présent à cette réunion. C'est une assistante d'édition, salariée depuis près de vingt, qui aurait jeté un pavé dans la mare en évoquant une ambiance de travail "anxiogène, toxique et stressante" à l'époque. Elle aurait parlé de "critiques acerbes" de l'homme de 62 ans contre ses collègues, ainsi que d'un management "agressif" et d'"humiliations quotidiennes". Un témoignage qui aurait poussé deux autres journalistes à lui emboiter le pas. "Elles ont fait comprendre à notre direction que Patrick Cohen n’était pas un homme nouveau pour nous, qu’on le connaissait très bien, et qu’il nous a laissé de très mauvais souvenirs", aurait confié l'un des journalistes. Médiapart précise qu'en se livrant ainsi, les salariés ne souhaitaient pas régler leurs comptes avec Patrick Cohen. Ils auraient simplement souhaité en parler dans le cas où la direction envisagerait de lui confier de nouveau des responsabilités ou en cas de récidive.
A la suite de cette fameuse réunion, le directeur de l'information Marc Fauvelle aurait vite saisi le service des ressources humaines afin que les personnes concernées soient reçues. Ainsi, les RH auraient reçu au moins trois témoignages par écrit, concernant surtout la période 2010-2017. Néanmoins, l'un d'eux remontait à la saison 2007-2008 (durant laquelle Patrick Cohen était rédacteur en chef du journal de la matinale et présentateur du journal de 8 heures), toujours selon nos confrères. A la suite de cela, plusieurs journalistes envisageraient de libérer également leur parole, dont deux personnes qui occupent actuellement des postes à responsabilité à Radio France.
A la suite de ces signalements, Médiapart aurait recueilli dix-neuf témoignages de personnes encore en poste, dont certain(e)s avec des postes à responsabilités. Et toutes auraient affirmé avoir été victimes ou témoins de "la brutalité managériale de Patrick Cohen". Il est notamment reproché à Patrick Cohen de ne pas avoir hésité à émettre des critiques en plein direct. "Pendant la diffusion d’un reportage, il pouvait dire, vingt secondes avant la reprise de l’antenne : 'Ah, dis-moi ta brève à venir, c’est nul, je ne comprends rien', ou 'L’ordre de ton journal, c’est n’importe quoi'. Quand on vous balance ça en plein direct, c’est extrêmement déstabilisant" aurait témoigné une ex-présentatrice de la matinale. "Il faisait ça de manière répétée, souvent en direction des mêmes personnes, généralement des femmes, confirme une chroniqueuse de l’époque. À la radio, on a l’habitude de faire des débriefs, mais pas en plein direct", aurait déclaré une autre source. Il aurait également rabroué une personne venue chercher ses conseils ou aurait enfoncé une autre traversant une période difficile. "Le rôle d’un supérieur hiérarchique, c’est d’être bienveillant et d’aider sa collègue à remonter la pente. Mais Patrick Cohen lui a mis la tête sous l’eau et a contribué à raccourcir sa carrière", se serait souvenu un voisin de bureau.
Il aurait aussi eu des propos très durs envers des collaborateurs absents lors des conférences de rédaction. "C’était un jeu de massacre, on sortait complètement du cadre éditorial", a souligné une personne chargée de la présentation des journaux. Et une journaliste d'ajouter : "Ceux qu’il considérait comme n’étant pas bons, pas assez informés, mauvaise voix, ou au ton trop emphatique, étaient humiliés en place publique." Enfin, il a été dit que Patrick Cohen aurait déjà zappé volontairement un reportage, pourtant validé par les chefs de rubrique la veille : "J’en ai fait des crises de larmes, de ne pas comprendre pourquoi mes sujets ne passaient pas alors qu’ils avaient passé la validation du soir. On n’a jamais connu ce fonctionnement, ni avant ni après Cohen. Il avait droit de vie ou de mort sur nos sujets", s'est désolée une reporter.
Alors qu'il aurait dans un premier temps accepté de répondre aux questions du média, après plusieurs échanges par téléphone et par écrit ainsi qu'une rencontre au mois de janvier, Patrick Cohen aurait finalement changé d'avis. Il aurait évoqué "une enquête à charge" et un "procédé malveillant" mené par des personnes qui "ont participé de façon marginale à cette aventure il y a plus de dix ans". Il aurait été étonné que "des faits d’une telle gravité aient pu se produire sans que ni les syndicats ni la société des journalistes n’aient été saisis ou alertés". "Dans les grandes lignes, le journaliste récuse toute accusation de management autoritaire, précise qu’il n’avait à l’époque aucun pouvoir hiérarchique et n’intervenait pas dans la composition des équipes de la matinale. Il souligne par ailleurs la faible rotation des équipes lors de ses sept années à la tête de la matinale, estimant que cette stabilité illustre ses bonnes relations avec ses collègues de l’époque", précise Médiapart.
Contactées par le média, la direction de France Inter et celle de Radio France n'ont pas souhaité faire de commentaire "pour des raisons de confidentialité". "C’est un gros travailleur, il est hypermnésique et rien ne lui échappe. Son seul défaut, c’est peut-être de ne pas concevoir que tout le monde ne soit pas toujours aussi travailleur que lui", aurait quant à lui confié son ancien camarade de la matinale Thomas Legrand.