Il porte l’un des noms les plus célèbres du cinéma français… mais que sait-on vraiment de Laurent de Funès ? Loin des projecteurs, le petit fils de Louis de Funès a longtemps gardé le silence. Jusqu’à ce qu’il décide de monter sur scène, en son nom propre, pour raconter son histoire. Celle d’un homme resté longtemps dans l’ombre d’un géant pas assez honoré à sa juste valeur, et qui, aujourd’hui, assume pleinement son héritage.
Depuis la montagne où il passe quelques vacances, cet ancien publicitaire devenu artiste a accepté de nous accorder un long entretien par téléphone. Une conversation passionnée, ponctuée de tendresse, de nostalgie, d’humour et de ces fameuses mimiques vocales si chères à l'ancien complice de Bourvil.
Vous tournez avec un spectacle qui porte directement votre nom. Quelle est sa genèse ?
Ce spectacle, Deux Funès, est un projet très personnel, que j’affine depuis des mois. C’est un dialogue entre deux êtres : moi, Laurent, et lui, Louis, mon grand-père. J’incarne les deux. Il y a cette dualité. J’ai écrit cette pièce pour raconter ce que cela implique d’arriver dans ce milieu avec un nom pareil. Il y a ce que les gens projettent, les fantasmes, les comparaisons, et puis il y a moi, avec mon parcours, ma sensibilité. Sur scène, je commence à parler seul, à dire des bêtises, et à un moment, il se matérialise — je vous laisse découvrir comment — et reprend la main en me recadrant, en me disant avec sa façon bien à lui : “Bon, ça suffit maintenant !” C’est un jeu permanent entre nous deux. Je veux en faire un vrai rendez-vous théâtral, que je compte jouer à Paris en 2026 pendant un mois complet, quatre à cinq soirs par semaine. Je veux faire rire avec une sincérité totale. Pas de cynisme, pas de second degré agressif comme on en voit trop aujourd’hui. Je viens d’un univers où l’humour doit faire du bien.
Votre nom a-t-il été un frein dans votre parcours ?
Ce nom suscite des attentes, des fantasmes. On projette énormément de choses sur moi, parfois sans même m’avoir vu jouer. Il y a ceux qui pensent que tout m’est offert, d’autres qui imaginent que je fais du Louis de Funès. Alors que non, je suis moi, avec mon propre ton. Le plus compliqué, c’est d’être pris au sérieux pour ce que je fais moi. C’est aussi pour ça que j’ai longtemps voulu mettre de côté mon nom. Et disons-le, j’ai aussi été mon propre frein. Par peur de ne pas être à la hauteur. Par peur de décevoir. Mais aujourd’hui, je ne veux plus vivre avec ce doute. Le public est formidable, très bienveillant.
Ce spectacle, son titre, c’est une façon d’assumer désormais votre nom ?
Complètement. Longtemps, j’ai rejeté ce nom. Je l’ai mis de côté, presque oublié. Parce que ça pesait. Et aussi parce qu’on a tenté de nous effacer. Pendant trente ans, on a voulu que la branche aînée — la mienne — soit invisible. Ça a été dur. Et puis j’en avais marre qu’on me parle de lui, marre de vivre dans son ombre. Avec le temps, certaines paroles m’ont rattrapé. Mon grand-père m’avait dit un jour : “Il faudra que tu acceptes un jour d’être qui tu es.” Cette phrase, longtemps mise de côté, m’est revenue récemment avec force. Et puis il y a eu cette remarque de Victoria Abril. On travaillait sur un projet ensemble. Je lui ai dit : “Si tu préfères, je peux changer de nom au générique.” Elle m’a dit : “Mais t’es complètement malade ! Tu portes un nom génial, assume-le !” Elle m’a réveillé.
Avant ce spectacle, vous aviez une toute autre vie. Quel a été le déclic ?
J’ai dirigé pendant vingt ans une agence de publicité. Un univers que je connaissais bien, dans lequel je m’exprimais aussi de manière artistique. Il y avait de l’image, du texte, de la création. Et puis en 2013, tout a changé. Le vrai déclic a été personnel : la mort de mon frère Thierry. Avant de partir, il m’a confié un regret qui m’a bouleversé : “Mon grand regret, c’est de ne pas avoir fait ce que j’avais vraiment envie de faire.” Ça m’a percuté. Je me suis dit que je ne pouvais pas rester dans cette vie sans explorer cette part de moi. Cette part artistique, enfouie.
© BestImage, François Baille / Nice Matin / Bestimage
Et c’est là que vous vous lancez sur scène ?
Oui. Et la première grande rencontre a été avec Marthe Mercadier. Je l’avais invitée à une soirée hommage à mon grand-père. À la fin, elle est venue me voir et m’a dit : “Toi, tu es comédien. Je fais ce métier depuis 70 ans, et je reconnais ça immédiatement.” Je lui ai répondu : “Mais vous savez qui je suis ?” Elle m’a dit : “Tu vas me tutoyer tout de suite. Et si tu refuses, je t’en colle deux.” (rires) Elle m’a pris sous son aile. On a fait un petit spectacle ensemble pendant un an. C’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier. Et moi, je me suis trouvé. J’ai pris conscience de ce que j’avais à dire, à faire. Sans frimer, sans faire le fier. Petit à petit, je me suis mis à écrire.
Avant tout ça, vous avez grandi loin des projecteurs ?
J’ai grandi dans le Val-de-Marne, dans une famille d’artistes. Mon père, Daniel, le fils aîné de Louis de Funès, peignait. Ma grand-mère aussi. On vivait loin du show-business. À l’époque, Internet n’existait pas, et c’était une chance. On pouvait vivre normalement, sans la pression extérieure liée à notre nom. Bien sûr, les gens savaient qui était mon grand-père, mais ce n’était pas une exposition permanente comme aujourd’hui.
Et vous, aviez-vous déjà une fibre artistique ?
J’étais très mélomane. Je baignais dans un univers de musique, de peinture. Une amie m’a rappelé que, petit, à chaque Noël, je montais une pièce farfelue pour faire rire tout le monde. Je l’avais oublié.
Je crois qu’en réalité, ça a toujours été là.
Mais vous avez d’abord suivi une autre voie…
Oui. J’ai fait des études de photo, puis d’arts graphiques. Je me suis tourné vers la pub. C’était une suite logique dans mon parcours. Pour moi, la pub, c’est aussi une forme d’art. Il y a des visuels, des mots, des émotions à transmettre. J’y ai trouvé du plaisir pendant vingt ans.
Et aujourd’hui ?
J’ai plusieurs projets. J’ai créé un personnage qui s’appelle Antoine Pépin. Un type paranoïaque, agoraphobe, qui panique dès qu’il allume la télé. Il part en vrille pour tout et rien. C’est très “funésien” dans le rythme, l’absurde, la nervosité. Je vais tourner une série de formats courts, de trois minutes, qu’on va diffuser sur YouTube. C’est drôle, contemporain, et un peu barré. Et puis je joue dans Les Aventures du Capitaine Jimmy Crochu, un film familial qui sortira le 24 décembre. C’est un projet entre animation et prises de vue réelles. J’incarne le seul personnage humain, une sorte de conscience à la Jiminy Cricket, qui accompagne les héros. C’est tendre, amusant, et ça parle aux enfants avec humour et poésie. J’y tiens beaucoup.
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