





“Il avait cette maladie qu'est l'alcoolisme et on sentait qu'il flirtait avec la mort en permanence”, avait déclaré à son propos le réalisateur Francis Veber sur France Info. Le 28 janvier 2005, il y a tout juste 20 ans, le flirt s’arrêtait brutalement. Foudroyé par une hémorragie interne liée à une maladie du foie, Jacques Villeret, qui se trouvait dans sa maison de campagne près d’Evreux avec des amis, a été pris d’un malaise. Conduit au centre hospitalier de la préfecture de l’Eure, il y succombait peu après. Cet habitué des rôles de gentils naïfs, l’extraterrestre de La Soupe au choux, ou le con du fameux dîner auquel l’avait convié Thierry Lhermitte dans le célèbre film, tirait sa révérence. Il avait 53 ans.
Si sa disparition laissait orphelins tous ceux qui avaient ri aux éclats de ses facéties, ou qui avaient été émus par son jeu sensible, notamment lorsqu’il était sur scène au théâtre, Jacques Villeret laissait aussi derrière lui une compagne, Seny, un enfant, Alexandre, et des questions d’héritage très embarrassantes…
Comme plus de 9 millions de spectateurs, Seny a craqué pour le comédien, qu’elle ne connaissait pas, en regardant Le Dîner de cons. Mère de trois enfants, veuve, elle venait de perdre son mari lorsqu’elle a croisé la route de l’acteur. “Nous nous sommes rencontrés à un moment où nous étions très malheureux chacun dans notre vie et nous avons décidé d'essayer de ne plus l'être ensemble”, avait raconté Seny au magazine Gala. Jacques Villeret sortait en effet d’une relation longue de 20 ans avec la comédienne Irina Tarassov, dont il avait adopté l’enfant, Alexandre, né en 1976, juste avant leur rencontre, et qu’il avait élevé comme si c’était le sien.
Jacques Villeret avait aussi une mère et une sœur, Annette et Ghislaine. En février 2007, un an après avoir refusé la succession, elles décident d’alerter les médias, Le Parisien en l’occurrence, sur des étrangetés entourant le dossier.
“On nous a affirmé que Jacques avait une énorme dette fiscale et que, si nous acceptions la succession, les créanciers seraient dirigés vers nous”, explique Ghislaine. Devant elle, posés sur une table du petit pavillon de Tours où elle reçoit nos confrères, trônent les deux César que l’acteur a remportés. Deux précieux souvenirs qu’elle n’entend pour rien au monde céder à l'administration judiciaire en charge de régler l’héritage et qui les lui réclame. Selon elle, son frère n’était pas endetté comme on le laisse entendre. Elle assure même qu’il lui avait confié fin 2004 : “Ça y est je suis tiré d'affaire…”
Devant Le Parisien, la sœur énumère les biens que possédait Villeret : une maison en Bretagne qu’il avait achetée avec son ex-femme Irina d’une valeur de 212 000 euros, la fameuse longère dans l'Eure acquise récemment, dans laquelle il se trouvait peu avant sa mort, estimée à 500 000 euros, une propriété à Marrakech, de jolis meubles, des fonds à la Caisse des dépôts d’une valeur de 480 000 euros… De quoi éponger les dettes supposées de ce dépensier capable de lâcher plus de 13 000 euros par mois pour des consultations de voyance par téléphone…

En juillet 2007, la sœur se rétracte, et décide finalement d’accepter la succession, estimant par ailleurs que les royalties ou les droits d'auteur de ses nombreuses œuvres peuvent constituer encore de belles sources de revenus… Elles ignorent à ce moment-là que dans l’ombre, un homme tire les ficelles pour s’enrichir sur le dos du disparu, dont la face sombre et violente sera révélée bien plus tard par son ex-femme…
Ahmin B est un peintre médiocre, mais il a de la suite dans les idées. Auteur de dizaines de tableaux, il décide de se faire passer pour le demi-frère de Jacques Villeret en expliquant qu’à ses heures perdues, l’acteur maniait volontiers le pinceau…
Cet escroc ne recule devant aucun stratagème : faux certificats, attestation sur l'honneur affirmant être le seul héritier de Villeret, témoignages inventés... Il présente aux acquéreurs potentiels des textos de Jean-Louis Debré, alors président du Conseil constitutionnel, qui assurent que les tableaux sont authentiques puisque le célèbre homme d’État aurait prétendument vu l’acteur à l’ouvrage… Ahmin B aurait ainsi écoulé une quarantaine de toiles signées JV pour une somme allant entre 9 et 12 000 euros par tableau. L’homme a même poussé l’audace jusqu'à en envoyer une au président de la République de l’époque. Abusé par le faussaire, Nicolas Sarkozy en personne avait pris sa plume pour le remercier.
“Plus c’est gros, plus ça passe”, estimera des années plus tard le procureur en charge du dossier. Un procès intenté à ce faux frère par la sœur de Jacques Villeret, au cours duquel on allait apprendre qu’Ahmin B, du vivant de l’acteur, avait même tenté de l’extorquer : "Mon frère se sentait menacé. Il le craignait. Jacques m'avait dit que Ahmin s'achetait des costumes chez Smalto, en les faisant passer sur sa note", avait expliqué Ghislaine. En fin de compte, l’usurpateur sera condamné à deux ans de prison ferme en 2013.
Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Si Ghislaine, la vraie sœur de Jacques Villeret, finira par être son héritière, deux personnes, en revanche, n’auront aucun droit sur la succession : Seny, sa dernière compagne, et Alexandre, son fils adoptif. Interrogé par Gala en novembre 2024, celui qui, comme son père, vit aujourd’hui de sa passion pour le cinéma déclarait n’avoir pas voulu se mêler aux querelles d’héritage. "Je n’en avais tellement rien à faire que je me suis totalement effacé", a-t-il expliqué en précisant, comme pour justifier son choix : "J’ai hérité des moments passés avec lui, de son éducation, de tout ce qu’il était. J’ai eu la chance d’être élevé et aimé par cet homme.” Une chance qui semblait valoir plus que tout bien matériel à ses yeux.