L'ancien présentateur du JT Benoît Duquesne retrouvé sans vie à 56 ans sur sa péniche, sa fille Marie a pris sa relève à la télé

C’est une petite placette du quartier de Saint-Germain-des-Prés, au cœur du Paris littéraire, à deux rues du Café de Flore et des Deux Magots, ces brasseries chics que fréquentent depuis des décennies journalistes et écrivains dans le 6ème arrondissement de la capitale. En cette chaude journée du 3 juillet 2014, le journaliste Benoît Duquesne, visage de l’information à France Télévisions et présentateur de la célèbre émission Complément d’enquête depuis 2008, y installe son plateau, sous les ramures de trois vieux arbres. L’invité de l’émission qu’il enregistre ce jour-là est une figure du monde intellectuel : Bernard-Henri Lévy.

Le compagnon d’Arielle Dombasle a longuement hésité avant d’accepter cette confrontation. Au bout d’une longue réflexion, qu’il consignera dans un texte hommage à son hôte publié un peu plus tard sur son blog laregledujeu.org, il donnera son aval, convaincu, écrit-il, par "la passion avec laquelle il (Benoît Duquesne) parle de son émission, l’impression d’honnêteté et de rigueur qui se dégage de lui, son professionnalisme, son côté Service Public jusqu’au bout des ongles, sa gentillesse aussi, son élégance, quelque chose de dandy dans le détachement et dans la mise qui ne me déplaît pas chez le baroudeur qu’il est aussi et que j’ai croisé, juste croisé, il y a quelques années, en Afghanistan".

Au terme de ces hésitations, BHL, dont on vient d'apprendre qu'il souffrait d'un syndrome très impactant sur sa vie privée, donne donc son accord à Duquesne pour participer à Complément d’enquête. "D’accord ; je vous fais confiance ; c’est bizarre, je ne vous connais pas, mais je vous fais, soudain, confiance ; vous serez peut-être critique, hostile, désagréable, pire encore ; mais je sais que vous serez honnête, jamais bas, ou insultant, ou absurdement polémique — juste honnête et, au fond, cela me suffit".

Ce jour-là, le journaliste exigeant, qui a fait ses armes en tant que reporter, correspondant à Londres, présentateur de JT -où une nouvelle figure va faire son apparition- et directeur de la rédaction d’Europe 1, est égal à lui-même. De l’aveu de son invité, la conversation est "musclée. Pugnace. Sans concession ni de ma part ni, naturellement, de la sienne. (...) Je sens qu’il a travaillé. Je vois tout de suite qu’il est le genre de journaliste qui prépare un entretien de trente minutes comme s’il allait durer des heures et qu’il y allait de l’essentiel".

Après ces quelques considérations flatteuses sur le professionnalisme de notre confrère, le philosophe s’étend sur l’impression qu’a dégagée ce jour-là son interlocuteur. "Je le trouve, par ailleurs, en forme. Très très en forme. Blagueur avant. Blagueur après. Toujours cet humour dandy, pince sans rire, qui le fait se moquer gentiment du narcissisme de l’un, des anxiétés de l’autre, des exigences de la réalisation ou des passants qui demandent des selfies."

À la fin de son texte, Bernard-Henri Lévy écrit : "J’ai pensé en le quittant que ce n’était évidemment pas le moment ; qu’il fallait laisser passer quelques jours ou quelques semaines ; mais que nous nous reverrions et qu’il était très exactement le type d’homme qui pourrait devenir mon ami."

Leur amitié ne verra jamais le jour. Ce soir-là, après l’émission, Benoît Duquesne regagne la péniche où il vit, amarrée sur la Seine. L’embarcation est stationnée à L'Île-Saint-Denis, une commune implantée sur l’île du même nom, au nord de Paris. C’est là que le lendemain, vendredi 4 juillet, il y a onze ans exactement, un collègue le retrouve sans vie. Il n’avait que 56 ans.

"L'ensemble des personnels de France 2 partage la peine et le chagrin de sa famille et de ses proches. La rédaction rendra hommage à ce grand professionnel dans le journal de 20h de ce soir", fait aussitôt savoir France 2 dans un communiqué, en précisant que celui qui avait effectué des remplacements aux JT de 13h et de 20h de 1995 à 2001, a succombé à une crise cardiaque.

Aussitôt, les hommages pleuvent, à commencer par celui du président de la République, François Hollande. "J’apprends la mort brutale de Benoît Duquesne. Figure appréciée des Français, Benoît Duquesne était un journaliste rigoureux et exigeant qui incarnait depuis de nombreuses années la liberté d’information. J’adresse à ses proches et à l’ensemble de ses collègues de France Télévisions mes plus sincères condoléances». Le chef de l’État est rapidement imité par son Premier ministre, Manuel Valls, qui s’empresse de saluer «un grand journaliste dont il a pu à de nombreuses reprises mesurer le professionnalisme. Passionné par la politique, Benoît Duquesne était profondément attaché au service public, dont il était devenu un des grands visages".

"Je suis abasourdi… C'était un homme robuste. Rien ne laissait imaginer qu'il aurait un tel pépin", réagit de son côté Yvan Martinet, journaliste pour Complément d’enquête, dans les colonnes de 20 Minutes.

Quelques jours plus tard, le 10 juillet 2014, des centaines de personnes viennent lui dire adieu à l'église Jeanne-d'Arc de Versailles, où se déroulent ses obsèques. L’assemblée compte de nombreuses figures de l’info : Gilles Bouleau, Jean-Pierre Elkabbach, Laurent Delahousse ou encore David Pujadas sont présents pour rendre hommage à leur collègue, mais aussi pour soutenir une famille éplorée par cette disparition soudaine.

Le journaliste vivait depuis de longues années aux côtés de son épouse, Élisabeth. Ensemble, ils avaient eu quatre enfants : Pierre, Marie, Mélanie et Mathilde. Ce 10 juillet, tous peinent à contenir leur émotion.

Les années ont passé. Les enfants ont grandi. Mais la passion du père pour le journalisme continue de vivre à travers l’une de ses filles. Marie Duquesne travaille en effet depuis de longues années à BFMTV. Après avoir été sur le terrain, comme lors de ce reportage réalisé en août 2018 lorsque des enfants ont dû être évacués d’un camping à la suite d’inondations dans le Gard, elle a intégré la direction d’une rédaction locale.

C’est ainsi qu’en mai dernier, elle a été reçue par les étudiants de l’EDJ, l’école de journalisme de Nice, afin de leur parler de son rôle de secrétaire générale de la rédaction de BFMTV Nice. Une façon de transmettre encore, et de faire aimer ce métier que défendait son regretté père avec tant d'ardeur.