Depuis bientôt deux décennies, Nicolas Pagnol se bat pour faire vivre l’œuvre de son grand-père. Président du fonds de dotation Marcel Pagnol et des entreprises familiales de gestion des droits depuis 2007, l’homme de 52 ans veille avec acharnement à préserver et à diffuser l’héritage littéraire, cinématographique et humain de l’auteur de La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. Mais cette mission de mémoire s’est muée, ces dernières années, en affrontement frontal avec la mairie de Marseille. En ligne de mire : la gestion du château de la Buzine, emblématique dans la saga paternelle… et désormais théâtre d’une guerre idéologique. "Je m’ennuie très vite", glisse Nicolas Pagnol, comme le rapporte M, le magazine du Monde. Dans son appartement de Neuilly-sur-Seine, entouré de livres et de souvenirs, il détaille les nombreux projets qu’il porte : un biopic animé, Marcel et Monsieur Pagnol, une collection de fournitures scolaires siglées au nom de l’écrivain, ou encore un musée à Allauch d’ici 2027. Depuis la mort de sa grand-mère Jacqueline en 2016, il est seul à la barre du navire Pagnol. Mais sa tâche ne se limite pas à la valorisation du patrimoine : elle implique aussi des combats. Le plus rude d’entre eux concerne la Buzine, cette bastide acquise par Marcel Pagnol en 1941 avec le rêve d’y bâtir un "Hollywood provençal".
Devenu propriété de la ville de Marseille, le château avait été confié en gestion à la Cinémathèque, puis à une association présidée par Nicolas Pagnol lui-même. Le lieu accueillait des expositions, des projections et des visites scolaires. Tout change en 2023, lorsque la mairie dirigée par Benoît Payan (Printemps marseillais, gauche) décide de ne pas reconduire la gestion à l’héritier, au profit d’un projet jugé moins coûteux et plus en adéquation avec ses orientations culturelles. "Benoît Payan a pris notre discrétion pour de l’absence et ma bonhomie pour de la faiblesse", dénonce Nicolas Pagnol en conférence de presse, le 14 septembre 2023. Il vide alors les lieux, emportant scénarios, archives et photos. Seules subsistent quelques affiches originales au deuxième étage. Le clash dépasse la simple question culturelle puisqu'il vire carrément à la guerre politique… La droite locale accuse la mairie de vouloir "tuer la culture provençale". En retour, Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture, dénonce un lieu "dédié à l’entre-soi et réservé à une caste". Les amitiés de Nicolas Pagnol, proche de Sylvain Souvestre (LR) ou de Valérie Fédèle, ancienne élue ayant invité Éric Zemmour en 2016, attisent les critiques. Face à cette situation, Nicolas Pagnol contre-attaque. Il dépose en septembre 2023 une plainte pour "diffamation et injures publiques" contre le maire et cinq de ses adjoints. En mars 2025, les six élus sont mis en examen. Puis, le 1er octobre 2024, une deuxième plainte est déposée pour "chantage et favoritisme", sur la base d’un appel téléphonique où le maire de Marseille aurait évoqué la divulgation de photos compromettantes. "Je préfère me tenir loin de Nicolas Pagnol", commente Benoît Payan, contacté par M.
Privé de la Buzine, l’héritier concentre son énergie sur la Bastide neuve, autre demeure familiale à Allauch, restaurée bénévolement par une poignée de fidèles. Il y installe une cheminée, des archives, prévoit des projections dans une salle de cinéma au sous-sol et rêve de produire une huile d’olive maison. PDG de la Compagnie Méditerranéenne de Films et des Éditions de la Treille, il supervise chaque projet, chaque adaptation, chaque diffusion. Et si ses demi-oncles et tantes, enfants naturels de Marcel Pagnol, ne touchent pas de droits d’auteur, lui seul est "salarié de la famille". Derrière le tumulte politique, le succès de l’œuvre reste intact. Vingt ans après avoir quitté le monde du snowboard professionnel et avoir songé à ouvrir un camp de pêche au Panama, Nicolas Pagnol est devenu l’infatigable gardien d’un monument du patrimoine français. Et comme il le résume lui-même, "je suis constamment hanté par la peur de tout planter". Mais ce qui est sûr, c’est qu’il se bat, coûte que coûte, pour que son grand-père, académicien, conteur de la Provence et traducteur de Virgile, ne prenne jamais la poussière.
player2
player2