






“Dites-moi d'où il vient/Enfin je saurai où je vais/Maman dit que lorsqu'on cherche bien/On finit toujours par trouver/Elle dit qu'il n'est jamais très loin/Qu'il part très souvent travailler.” En 2013, ces quelques mots ouvrent la chanson Papaoutai; premier extrait de l’album Racine carré d’un jeune chanteur nommé Stromae. Le morceau est un triomphe mondial et, en août 2023, son clip a dépassé la barre des 1 milliard de vues sur YouTube. Son texte est clairement autobiographique. Lors sa sortie, dans le journal Libération, son interprète et auteur avoue avoir pleuré lors de son écriture : “Sans doute pour le côté vécu.”
Ce papa tant recherché s’appelait Pierre Rutare et a été assassiné à Kigali, capitale du pays, durant le génocide des Tutsis perpétré au Rwanda en 1994. C’était un architecte rwandais de renom qui avait étudié à Bruxelles avant de repartir dans son pays natal quelques années plus tard. En Belgique, il fait la connaissance de Miranda Van Haver, la mère de Stromae, alias Paul Van Haver. Selon le site belge VRT, revenu en Afrique, Pierre y mène une belle carrière et construit des villas dans le quartier résidentiel de Kigali, de Kimihurura. Il est choisi pour ériger un monument sur le principal rond-point de la ville. Il sera démoli en 2005 par le pouvoir en place. Stromae senior faisait partie du milieu des affaires de la capitale et son bureau parrainait une équipe de basket-ball locale.

Son fils l’a vu pour la dernière fois quand il avait cinq ans, en 1987. C’était lors d’un voyage au Rwanda en compagnie de sa mère. Malheureusement, ce voyage fut écourté par le rapatriement d'urgence de l’enfant en Belgique, après avoir contracté le paludisme. En tout, Stromae n'aurait vu son géniteur qu'une vingtaine de fois, avant son décès. À l'époque, il n'a que 9 ans et on ne lui dit pas ce qu’il se passe. Ce n’est que trois ans plus tard qu'il apprendra la vérité. "Je n’ai pas pleuré en l’apprenant, car pour moi, il avait déjà disparu", confiera plus tard Stromae qui confie n’avoir conservé que très peu de souvenirs de son père.
“Ma maman ne savait pas comment me le dire. Puis, à force d’entendre les adultes parler du génocide et de constater que je n’avais plus de nouvelles de lui, j’ai fini par le deviner, a expliqué l’artiste dans Le Monde. J’ai dit à ma mère : 'Il est mort ?' Surprise par ma question, elle m’a répondu : 'Oui.' (…) Ne l’avoir pas vraiment connu me procure toujours un sentiment bizarre… Mais je suis en contact avec ses sœurs, dont l’une vit en Belgique, et ses enfants sont, pour moi, comme des frères et sœurs.” Car Pierre Rutare a eu quatre autres enfants. L’un d’eux est un chanteur traditionnel au Rwanda. Aujourd’hui, Stromae n'a que quelques souvenirs de son papa Pierre : une mallette remplie de crayons de couleur et le pick-up que son père utilisait pour se déplacer au Rwanda.

En octobre 2015, il a vécu un moment très émouvant quand il est venu donner un concert au Rwanda pour clore sa tournée mondiale, baptisée Racine Carrée. Quinze à vingt mille fans en délire ont alors chanté et dansé au rythme de ses tubes, Papaoutai, Formidable ou Quand c’est. Lors de ce concert, le chanteur a fait allusion explicitement à son père pour la première fois en lui dédiant Papaoutai. En revanche, durant la conférence de presse qui a précédé l’événement, il est resté muet sur sa mort ainsi que sur la question du génocide rwandais. L’opinion locale a alors été un peu déçue que la plus grande star rwandaise de tous les temps n’accorde aucune interview privée et que la presse soit tenue à l’écart des visites prévues aux membres de sa famille. Malgré la présence au concert de Jeanette Kagame, épouse du président rwandais Paul Kagamé, aucune rencontre officielle ne semble avoir été organisée.
“Je garde en mémoire beaucoup de bienveillance et, surtout, ce sentiment très étrange d’être un peu considéré comme l’enfant du pays, alors que je n’y avais mis qu’une seule fois les pieds, très jeune, s’est souvenu en revanche le néo-quadragénaire dans Le Monde. Évidemment, génétiquement, je ressemble à tous les mecs qui sont là, c’est assez particulier. Et puis, j’ai rencontré ma famille de là-bas… J’ai du mal à vous en dire plus tellement cela remue l’intime sur fond de drame rwandais…” De ce voyage, Stromae garde également un souvenir très précis. Celui ou, sur scène, il a répété “Merci, papa. Merci, papa”. Il a expliqué pourquoi quelques années après dans la presse : “Je ne l’avais jamais fait, c’était l’occasion. Sans lui, il n’y aurait pas eu Papaoutai.” Au grand absent de sa vie, cet homme sensible sait ce qu’il doit.