La guerre des Saint Laurent est déclarée depuis bien des mois mais avec les César, elle atteint son paroxysme. Les deux films ont exploré chacun à sa façon l'existence de l'envoûtant génie de la mode décédé en 2008, et ils sont sortis la même année, en janvier pour l'un, en octobre pour l'autre. Avant la grand-messe du cinéma le 20 février dont les nominations viennent d'être dévoilées, quelles sont les conclusions que l'on peut déjà tirer de l'affrontement des deux biopics ?
Yves Saint Laurent de Jalil Lespert est une biographie de cinéma qui se veut très fidèle à la réalité, si bien qu'elle a été adoubée par le compagnon du créateur, Pierre Bergé. Académique, la réalisation est soignée, les costumes parfaits et les interprétations impeccables. La vision de Bertrand Bonello se veut plus fantasmée, voire onirique, et le travail de la mise en scène appuient cette version fascinante. Comme dans le biopic de Lespert, les acteurs ont tous été salués pour leur prestation.
Pour le moment, c'est Saint Laurent signé Bonello qui se distingue avec 10 nominations contre 6 pour le long métrage de Lespert. Le premier figure dans les catégories reines comme meilleur film et réalisateur, à l'inverse du second. Côté technique, les costumes et décors des deux oeuvres sont cités, mais la musique a été plus applaudie chez Jalil Lespert, tandis que la photographie, le montage et le son ont été nommés pour le film de Bonello.
Sans surprise, les deux acteurs principaux Pierre Niney et Gaspard Ulliel sont nommés. Interrogé sur la prestation de Niney, Gaspard Ulliel a d'abord préféré ne pas voir comment son collègue avait incarné le même personnage : "Lorsque j'ai découvert le film de Jalil Lespert, j'ai tout de suite compris que mon personnage et celui de Pierre Niney pourraient coexister. Je salue d'ailleurs la performance de Pierre Niney qui est brillant. Mais face à son Saint-Laurent globalement bienveillant, mon personnage apparaît plus profond et subtil" (LePetitJournal.com). Par ailleurs, les deux Pierre Bergé, Guillaume Gallienne et Jérémie Rénier, sont nommés en second rôle, Louis Garrel dirigé par Bonello l'est aussi tandis que Charlotte Le Bon sous la direction de Lespert est citée en meilleure actrice dans un second rôle.
Bertrand Bonello avait décidé de repousser la sortie de son film qui n'a pas eu l'aval de Pierre Bergé, pour ne pas pâtir d'une situation ubuesque comme celle qu'avaient connue les deux adaptations de La Guerre des boutons. "Nous étions déjà très avancés dans notre projet quand les producteurs de Jalil Lespert ont lancé le leur, mais j'ai vite compris qu'ils cherchaient à nous prendre de vitesse. Ils avaient une stratégie très offensive. Les acteurs que je choisissais se retrouvaient, parfois, avec une offre concurrente et quelques jours pour se décider", se souvient même le metteur en scène. "Franchement, on pensait finir les premiers, mais ils ont accéléré, voire bâclé" le scénario, dénonçait Bertrand Bonello dans Nice-Matin. Si la tension a dû être palpable, Pierre Bergé avait déclaré dans Paris Match avoir trouvé "incroyable qu'on tourne un biopic sur Yves sans venir [lui] en parler", estimant que sa "réputation d'empêcheur de danser en rond [l'avait] peut-être effrayé".
En définitive, Saint Laurent aura mis plus de temps à sortir mais il aura eu le bonheur d'être en compétition au Festival de Cannes, bénéficiant d'un bel accueil critique mais rentrant bredouille. Toutefois, en termes d'entrées, c'est Yves Saint Laurent avec Pierre Niney qui remporte la victoire avec 1,6 million de spectateurs, contre 235 513 pour Saint Laurent avec Gaspard Ulliel. Les César vont-ils élire le choix du public ou celui de la presse ? Réponse le 20 février lors de la 40e édition.
Samya Yakoubaly