





L’exercice de parler de soi n’était pas le préféré de Claude Brasseur. C’est pourtant ce à quoi le mythique acteur de La Boum s’était prêté en 2016, auprès des journalistes suisses du Matin.ch. Un entretien dans lequel le comédien commençait, avant toute autre chose, par s’auto-définir. "Je suis le plus normal et honnête possible, déclarait-il. Je ne suis pas un artiste, je suis un artisan. Le mot travail n’existe pas dans mon vocabulaire, la comédie est un art de vivre que j’ai toujours pris au sérieux même si je fais joujou, je me déguise…"
Son premier souvenir d’enfant, c’était à ses célèbres parents qu’il le devait. Enfant d’artistes connus et reconnus dans l’Hexagone, l’anecdote avait de quoi en faire rêver plus d’un. "Mon père, Pierre Brasseur, et ma mère, Odette Joyeux, étaient divorcés depuis que j’étais tout petit. Un jour, papa a téléphoné à maman pour lui dire : J’aimerais bien emmener Claudie (son surnom quand il était enfant, NDLR) avec moi, car je vais dîner chez Édith Piaf et il y aura Marcel Cerdan. Le boxeur était mon idole ! Et quand mon père est arrivé et qu’il a fait la bise à ma mère, je lui ai dit : Tiens, je ne savais pas que tu connaissais maman."

Enfant de divorcés (chose très rare à l’époque), Claude Brasseur n’a jamais entendu "je t’aime" du côté de ses parents, trop affairés dans leurs carrières respectives. "Mes géniteurs n’ont jamais utilisé ce terme, précisait le comédien. Certainement par pudeur. J’ai souvent dit que j’ai eu des parents, mais je n’ai pas eu de papa ou maman. Les deux ne pensaient qu’à eux. Ma mère a aussi confirmé à plusieurs reprises que je n’étais pas un enfant désiré. Elle m’a même confié que sa grossesse avait été un poids pour elle. Je n’étais pourtant pas un gros bébé. (Rires.) Mais grâce à l’amour de mes grands-parents, j’ai vraiment tenu à fonder une famille. "
Sa famille, Claude Brasseur ne tardera pas à la construire à son image. À 25 ans, il épouse la mannequin et journaliste Peggy Roche (qui deviendra la compagne de Françoise Sagan par la suite), avec qui il divorcera quelques années plus tard. En 1970, l’acteur de Camping tombe sous le charme de Michèle Cambon, avec qui il aura un fils, Alexandre, en 1971 Dans les colonnes du Matin.ch, Claude Brasseur évoquait ses "vrais amis" : "Pierre Bénichou (tristement disparu il y a cinq ans de cela), nous étions écoliers ensemble, le directeur du Théâtre du Léman, Claude Proz, et mon fils Alexandre, ma plus grande fierté. Je suis son père, son confident, mais aussi son pote."

C’est dans Paris Match qu’Alexandre se remémorait ses derniers instants avec ce papa "pote", juste après l’avoir perdu, fin 2020. "La nostalgie d’hier m’envahit déjà, écrivait le comédien. Je repense à notre dernière promenade. Nous avions marché dans le Paris qu’il aimait, bras dessus, bras dessous, à son rythme. Nous nous sommes assis à la terrasse du Vagenende, boulevard Saint-Germain. On a bu des spritz et regardé les filles. On était bien. C’était un moment rêvé entre un père et un fils, un moment simple et lumineux comme ce beau mois de juin qui l’a vu naître."
Depuis, Alexandre est retourné sur les traces de son papa qui lui manque tant. Ces souvenirs l’ont conduit dans le village de Peillon, sur les hauteurs de Nice, où la famille Brasseur avait une maison nichée au milieu du petit village médiéval. Une maison de pierre devenue un restaurant réputé : Les Plaisirs. Vendue par Claude Brasseur à la famille Clavel en 1980, la bâtisse garde quelques traces du passage des Brasseur entre ses murs : une ardoise à l’entrée où il est rappelé que nous sommes bien devant la "maison de Catherine Sauvage (célèbre chanteuse avec qui Pierre Brasseur a vécu, NDLR), Pierre et Claude Brasseur de 1961 à 1980".
Dans la salle de restaurant, restée telle qu’aurait pu la laisser le clan Brasseur après une belle tablée dominicale, quelques photos des illustres acteurs et un clap de cinéma avec leurs noms ponctuent les murs de pierre. "Ce sont des photos qu’Alexandre Brasseur m’a données, nous confie Romain Clavel-Millo, maître des lieux et chef de la cuisine. Alexandre vient souvent." Comme une façon d’entretenir le lien avec l’enfance de son papa, dans les rues escarpées de la cité médiévale. "Quand Claude Brasseur a quitté la maison, il ne restait plus grand-chose de leur vie ici, ajoute Romain Clavel-Millo. J’ai retrouvé un paravent et une jarre peinte par Catherine Sauvage."

Depuis, la maison est devenue Les Plaisirs, un restaurant "baptisé comme ça en hommage aux bons moments que les Brasseur ont vécus avec leurs amis ici". Et des plaisirs, il n’en manque pas. Testée par le guide du Fooding, la table de Romain Clavel-Millo pétille. "En 2010, Romain Clavel, petit-fils d’Aimée Millo et de Bernard Clavel (Goncourt dans les années 60), ouvrait un bistrot dans l’ancienne maison de Claude Brasseur et Catherine Sauvage, à seulement 21 piges, planquée dans le mignonissime village fortifié de Peillon, écrit le journaliste culinaire. Quatorze ans plus tard, le cuistot au parcours classiciste (passé par l’Hôtel Hermitage à Monaco et le Mandarin Oriental à Londres) continue de choyer comme il se doit les tablées de son resto boisé-pierré-poutré avec vue impayable sur la vallée. Ce midi-là, sortis de la mini-cuisine et convoyés détente par Marie-José, la maman de Romain : simplissime, mais succulent." Recevant le Bib Gourmand du célèbre guide Michelin (saluant l’excellence du travail de Romain et ses prix contenus), la table ne désemplit pas.
Sur le site du restaurant : une photo d’Alexandre Brasseur posant sur les marches de cette maison des plaisirs, aux côtés du nouveau propriétaire. Une jolie façon de mixer souvenirs et plaisirs et de rendre hommage à Claude Brasseur, qui aimait tant traîner à table dans cette maison, entouré des gens qu’il aimait.